Cet article présente la synthèse des conférences de deux médecins professionnels de la petite enfance :
– Dr Lesley SUIRO, neuro-pédiatre à l’hôpital Poincaré de Garches au Centre de Référence des Troubles du Langage et des Apprentissages.
– Dr Anne-Lise DUCANDA, médecin de Protection Maternelle Infantile (PMI). Elle est membre du Collectif Surexposition aux écrans (Cose).

Les enfants de 4 ans regardent 3h04 de vidéos par jour soit 21h par semaine. Ceux de plus de 7 ans passent 7h40 par jour devant un écran (tous confondus : TV, téléphone, tablette, console) soit 2500 heures par an.
Pour information, ils vont 900 heures par an au collège.
On pourrait penser dans certains cas que c’est l’école et le collège qui sont devenus une activité annexe à la place des écrans, qui prennent à présent plus de place dans la vie de nos enfants que les apprentissages et les jeux en interaction non virtuelle.

  • ECRANS ET CERVEAU

Le cerveau évolue et se transforme tout au long de la vie.
Entre 0 et 3 ans, le cerveau a une structure spécifique, non comparable au cerveau des adultes (le jeune enfant n’est pas un adulte miniature).
Il y a un processus de maturation important jusqu’à 15 ans. Donc de la naissance à 15 ans c’est une période de vigilance extrême.
Au-delà de 15 ans, le cerveau évolue et se modèle en fonction de l’usage qu’on en fait. Exemple : les chauffeurs de taxi ont les aires cérébrales correspondant à l’orientation spatiale plus développées que le reste de la population.

L’ACTIVITÉ CÉRÉBRALE DEVANT UN ÉCRAN EST LA MÊME QUE DURANT LE SOMMEIL ! Pour résumer, devant un écran, un enfant est « éteint ».
Le cerveau apprend et s’organise en interagissant avec le réel, pas en regardant un écran. Il faut voir, entendre, sentir (odorat, tact, sensibilité de l’intérieur du corps), tester et rectifier si besoin nos actions pour apprendre.
Jusqu’à 7-8 ans, un enfant ne différencie pas une publicité d’un documentaire. Pour lui, pub = documentaire = film = réalité (donc les enfants développent de fausses croyances, font de plus en plus de cauchemars…). C’est pour cela que c’est important que l’enfant ne soit pas seul devant un écran et qu’on lui explique que les publicités ne son pas la réalité.
Pour que les connexions cérébrales du bébé se fassent, l’attachement entre le bébé et son parent est important.
L’enfant peut alors développer une sécurité affective qui va lui permettre d’aller explorer son environnement par le mouvement (par les 5 sens).

Pour que l’enfant et le cerveau de l’enfant se développe, il faut qu’il soit relié au corps. Avec les écrans, le cerveau est connecté avec l’écran et plus du tout au corps…

Tout ce que les sens apportent ne peuvent pas être apporté par un écran (froid, chaud…).
Avec les applications éducatives, il y a juste l’image, pas la manipulation et le toucher…
On ne peut pas apprendre le froid (neige) avec l’image d’une tablette.

Avec les écrans, les enfants font des mouvements répétitifs et stéréotypés.

Trop d’exposition aux écrans empêchent les connexions neuronales et le développement du cerveau.
L’automatisme cérébral du jeu revient dans le quotidien. Rien ne s’est élaboré au niveau de la pensée en dehors des chiffres et des couleurs.
Les enfants ne peuvent pas apprendre à l’école, ils ne comprennent pas les consignes.
« C’est pas l’école le problème, c’est ce qui s’est passé avant ».
Trop d’écrans entraine des troubles du comportement et de la compréhension.

Des études ont montré qu’il y a plus de troubles intellectuels et cognitifs chez les enfants d’âge scolaire.
L’étude « The Lancet » (27 septembre 2018 sur 4520 enfants de 8 à 11 ans, sur 20 sites à travers les Etats-Unis par des chercheurs canadiens) a montré que les enfants qui sont plus de 2 heures par jour sur les écrans ont de moins bonnes capacités cognitives : langage, mémoire, attention, réactivité…

  • ÉCRANS ET RÉUSSITE SCOLAIRE

Diverses études (très nombreuses, réalisées sur plusieurs années) ont prouvé que si plus de 3 heures d’écran par jour, on divise par 2 la probabilité de faire des études supérieures.

  • ECRANS ET MOTRICITE

Un enfant qui est devant un écran ne bouge pas, il reste immobile. Hors les enfants ont besoin de bouger pour développer leurs capacités motrices. C’est pourquoi les enfants qui passent trop de temps devant les écrans peuvent présenter un retard moteur. Ils n’utilisent pas leur corps, ils ne manipulent pas, n’ont pas la notion de force (ils effleurent du doigts l’écran)… Ils ne développent pas la coordination visuo-manuelle (vers 5 mois), indispensable pour les apprentissages et le graphisme.
De plus, les écrans sont en 2D, les enfants n’ont pas la notion de profondeur.

Pour apprendre, l’enfant a besoin de :

  • Désorganiser le monde pour le comprendre
  • Déplacer, regrouper, transporter, trier, transvaser, laisser tomber…
  • Apprendre la frustration, l’effort, l’attente : prérequis pour l’Ecole

Les écrans font à la place des enfants, les enfants ne font plus d’efforts.
La frustration et les limites c’est important pour l’enfant (comme quand on conduit sur l’autoroute, il y a des barrières et des limitations de vitesse, pour la sécurité…).

Jouer dehors est important, c’est un environnement riche qui apporte de nombreuses sensations qui permettent de stimuler l’enfant, aussi il apprend à vivre avec les autres.
A l’extérieur, on secrète plus de mélatonine (hormone sécrétée à la lumière du jour) qui permet de favoriser le sommeil.
Il faut au moins 40 minutes par jour d’activité en extérieur.

En tant que psychomotricienne, je m’appuie sur l’importance du portage et des vécus sensorimoteurs proposés aux jeunes enfants, sur la nécessité de l’activité de l’enfant, de la motricité, du jeu et bien entendu de la relation humaine.

Voici les résultats d’une enquête conduite en 2006 par deux médecins allemands et reprise par l’INSERM.  Cette enquête montre la différence de dessins de bonhomme faits par des enfants, en lien avec le temps passé devant la télévision.

Ce n’est pas seulement le temps passé devant la télévision qui ne permet pas à l’enfant de se construire une bonne représentation de lui-même, c’est aussi un non investissement de son corps et de sa motricité, une méconnaissance du mouvement et de ses plaisirs, qui incitent l’enfant à rester devant la télévision plutôt que d’aller faire tout autre jeu « actif ».

  • ÉCRANS ET LANGAGE

Avec les écrans, la pensée ne s’est pas élaborée. L’enfant peut apprendre à parler que si on le regarde et on s’adresse à lui avec des gestes.
Entre 8 et 16 mois, chaque heure quotidienne de « vidéos adaptées » (petit ours brun et compagnie…) entraine une diminution de 10% du lexique. Et chaque demi-heure supplémentaire de tablette augmente de 49% le risque de retard de langage.
Entre 2 et 4 ans, 2 heures d’écran par jour provoquent un risque de retard de langage multiplié par 3.
Les enfants font que répéter ce qu’ils entendent sur l’écran et les jeux éducatifs mais ne savent pas parler. Ils sont en écholalie (= répétitions de mots et phrases).
Un langage grossier est souvent utilisé dans les jeux vidéos et les enfants et adolescents le répètent ensuite dans leur quotidien.

  • ÉCRANS ET ATTENTION

Chez les enfants de moins de 3 ans, chaque heure quotidienne d’écran double les chances de présenter un trouble de l’attention primaire (TDAH).
Si la télévision est en fond et que vous pensez que ça ne perturbe pas l’enfant, qui joue tranquillement dans le salon. En fait, c’est un bruit continu avec des programmes pas toujours adaptés (violents et anxiogènes). L’enfant regarde l’écran 5% du temps, chaque fois une fraction de seconde, mais on lui « apprend » ainsi à « fragmenter son attention » : je joue, je m’interromps pour regarder, je rejoue ne sachant plus où j’en étais, je m’interromps encore, etc.

Chez les plus grands, les jeux vidéo envoient des signaux lumineux spéciaux toutes les 12 secondes, ce qui remobilise l’attention toutes les 12 secondes et habitue le cerveau. Donc, hors écran, un enfant qui passe beaucoup de temps devant ces jeux va décrocher en permanence (toutes les 12 secondes…).
Si vos enfants semblent concentrés devant un jeu vidéo et pas en dehors c’est parce que à cause des écrans, ils ont perdu leurs capacités d’attention endogène (la capacité à se stimuler soi-même pour être vigilants / concentrés) : ils ont à présent besoin qu’un signal extérieur (professeur, par exemple) les remobilise en permanence.
De plus, les jeux autonomes, qui avancent tout seul pendant la journée (genre clash of clans) parasitent l’enfant (« oh là là, j’espère que je me fais pas attaquer là » en plein cours de maths).
Une diminution de l’exposition aux écrans entraîne très vite une nette amélioration chez beaucoup d’enfants /ados avec des problèmes d’attention.

Pour se concentrer, l’enfant doit être sur un support fade et neutre qui ne bouge pas.
Le rythme des films et dessins animés actuels est beaucoup plus rapide qu’il y a 20 ans, avec des changements de plans, etc. qui fractionnent l’attention. Les dessins animés sont rapides (l’image change en moins de 3 secondes) pour retenir l’attention de l’enfant pour qu’il reste sur l’écran et ne change pas de chaine. L’enfant ne peut pas se concentrer avec un écran. Il ne reste pas tranquille 2 minutes.
Il y a aussi des mimiques plus exagérées, caricaturales. Par mimétisme, les enfants peuvent développer « une culture théâtrale des mimiques » (ils se comportent comme dans le dessin animé).

  • ÉCRANS ET SOMMEIL

Les LED des écrans ont un impact 100 fois plus important sur les récepteurs photosensibles des yeux qu’une lumière artificielle générée par une lampe style plafonnier. Cela envoie le message au cerveau que nous sommes en plein jour et perturbe donc l’horloge biologique.
Un enfant qui est sur les écrans le soir risque d’avoir des troubles du sommeil. Et qui dit troubles du sommeil dit fatigue, irritabilité, manque d’attention, etc.
Il est préférable de ne pas avoir de télévision et de téléphone dans la chambre des enfants.

  • ÉCRANS ET SURPOIDS

Les troubles du sommeil perturbent aussi la digestion.
Les repas sont un moment ou le cerveau est stimulé et il y a une interaction avec l’adulte qui va préparer la mise en place du langage.
Devant un écran le cerveau n’est plus relié au corps mais à l’écran et ne secrète aucune substance liée à la digestion. Ainsi, les enfants ne font pas attention à ce qu’ils mangent.
Au-delà de ça, la diminution de l’activité physique augmente aussi le risque de problèmes de poids. Les études disent qu’une heure supplémentaire d’écrans par jour augmente le risque de surpoids de 30%
Des études ont montré que les écrans favorisent le risque d’obésité, de diabète et de maladies cardio-vasculaires.
Les écrans développent des troubles alimentaires.

  • ÉCRANS ET VISION

On observe une nette augmentation de la myopie chez les enfants et adolescents depuis 10 ans.
La proportion de myopes dans la population a doublé depuis les années 70.
Le manque d’activité en plein air génère un risque de diminution du champ visuel, des réflexes liés à la vision périphérique (attention quand on est sur nos téléphones par exemple en tant que piéton et en tant que conducteur), et de moins bonnes capacités d’ajustement vision de loin/vision de près.

  • ÉCRANS ET VIOLENCE

Les dessins animés contiennent des scènes violentes et sexualisées.
En moyenne, un enfant voit 12000 actes violents (meurtres, viols, etc.) par an sur un écran ! Plus de 50% des enfants de 10 ans ont déjà vu des images à caractère sexuel, voire pornographique…
En résulte de l’anxiété (pour rappel : manque de discernement entre fiction et réalité… et que dire des infos et de son lot d’attentats, guerres, disparitions, émeutes…) et une certaine désensibilisation (banalisation).
Plus de 1 000 études confirment qu’une exposition répétée aux scènes violentes sur écran augmente les comportements violents, notamment chez les garçons.
Les jeux vidéos comportent des scènes traumatisantes et excitantes.
Jeux vidéos violents et pornographiques : Call of Duty et GTA

Les enfants ont plus de troubles psychiques : agitation, colère, agressivité, passivité, enfermés dans leur bulle…
Les enfants sont agités en dehors des écrans.

Le problème des écrans est que nous perdons le contrôle sur nos enfants.

  • ECRANS ET ADDICTION

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déclaré le 14 juin 2018 l’addiction aux écrans comme maladie mentale. Les écrans sont comme une drogue.
Les écrans attirent l’enfant et le fascinent, ils se lèvent la nuit pour regarder/jouer donc ce n’est pas une activité comme une autre (ils ne font pas pareil avec les Playmobil).
C’est un phénomène mondial qui touche de nombreux pays.
« Fortnite » est un jeu à la mode en ce moment et il est très addictif (interdit au moins de 12 ans).
Les applications et jeux vidéos utilisent un circuit de récompense et activent la dopamine (hormone du plaisir) et ils veulent encore continuer.
On peut voir apparaître un syndrome de manque quand le jeu s’arrête ou qu’on lui retire : l’enfant hurle, crie, se tape la tête…

Enfin, les risques de dépression sont réels ainsi qu’une initiation de plus en plus tôt à l’alcool, au tabac, etc.

  • ECRANS ET RELATION AUX AUTRES

Les enfants passent beaucoup de temps seuls face à leurs écrans et sont coupés de la relation aux autres. Ils peuvent développer des stéréotypies (répétition d’un geste).
A la maison, les enfants préfèrent jouer à l’écran qu’avec leur parent.
A l’école, certains enfants agressent les autres (tapent, mordent…) car ils n’ont pas l’habitude et se sentent agressés par les autres.
Des études aux Etats-Unis ont montré que les cas d’autisme ont augmenté en même temps que l’utilisation des téléphones portables et écrans.
Les enfants qui sont constamment sur les écrans sont enfermés dans leur bulle et ne sont plus en relation avec les autres enfants, ils n’ont pas les codes sociaux adaptés.

Syndrome de Surexposition aux Ecrans = SSE
  • Retard moteur (pas manipulation, force, ne bouge pas…)
  • Troubles du langage
  • Retard cognitif
  • Troubles de l’attention
  • Agitation, agressivité, passivité
  • Addiction
  • Coupés de la relation

Les effets des écrans pou les plus grands :
– Saturés d’images : ils ne réfléchissent plus
– Troubles des apprentissages : troubles « Dys » surtout s’ils sont multiples (dyslexie, dysorthographie, dysgraphie, dyspraxie…)
– A 11 ans l’enfant a vu 100 000 agressions et 8 000 meurtres
– Perte d’empathie, colères, violence
– « Economie de l’attention »
– Troubles de la mémorisation, de la concentration (TDAH), du langage
– Enfants dorment de moins en moins (en 15 ans, – 20 minutes par nuit). Ecrans avant de dormir : trop de lumière bleue et inhibe la sécrétion de mélatonine (secrétée grâce à la lumière du jour) donc difficile de s’endormir
– Moins effort et motivation
– Moins temps partagé ensemble
– Echec scolaire, déscolarisation
– Isolement, dépression
– Pornographie, conduites hyper-sexualisées

RECOMMANDATIONS
Pas d’écran avant 2 ans
Eviter de laisser la télévision allumer en permanence
Ne pas jouer sur les écrans en présence des enfants
RESPECTER les âges mentionnés sur les jeux vidéos
PAS le matin avant l’école et PAS avant une certaine heure définie à l’avance le week-end
PAS le soir avant le coucher
PAS pendant les repas
PAS d’écran seul dans la chambre
4 PAS pour mieux avancer : voir la vidéo

Soyons vigilants pour nos enfants : les écrans ont du bon, mais sont à consommer avec modération…
Il est important de gérer la quantité, le temps et le contenu des écrans pour favoriser le développement de l’enfant !

Livres
« Quand les écrans deviennent neurotoxiques » Sabine DUFLO
« Ma pause sans écran : 30 jeux à partager pour éloigner ses enfants des écrans 0-6 ans »
« Les écrans : mode d’emploi pour une utilisation raisonnée en famille »

Article sur « Le point »

Limiter les écrans des enfants et les vôtres.
Offrez-lui ce que vous avez de plus précieux : du temps avec votre enfant !